À première vue, le sujet semble concerner uniquement les automobilistes. Mais un train peut en cacher un autre : ce qui sera décidé pour les véhicules légers risque de déterminer les règles pour les utilitaires, les poids lourds, les bus, les autocars et l’ensemble du transport routier. Or, dans ces secteurs essentiels à notre économie, les contraintes sont plus fortes, les marges plus faibles et les solutions moins facilement accessibles.
Ensemble — acteurs du transport routier de marchandises et de voyageurs, filières des biocarburants et du biogaz —, alertons sur un risque majeur : que la souhaitable électrification des véhicules repose sur une approche qui, appliquée aux véhicules lourds, barrerait la route à des solutions complémentaires, pourtant accessibles, matures et pertinentes pour décarboner la route.
Nous partageons l’objectif de réduire rapidement et drastiquement les émissions du transport routier. Mais les réalités de terrain doivent être entendues. Aujourd’hui, l’électrification progresse mais moins vite que prévu. L’âge moyen des véhicules augmente, les immatriculations baissent et les investissements restent hors de portée pour beaucoup de ménages et d’entreprises. Les constructeurs eux-mêmes alertent sur une trajectoire devenue difficilement soutenable. Dans le transport de marchandises et de voyageurs, ces difficultés sont encore plus prégnantes : inadéquation de l’offre de véhicules électriques à certains usages, maillage du territoire insuffisant en infrastructures de recharge de forte puissance et coût d’acquisition des véhicules élevé.
Ce que nous contestons, c’est la méthode de comptage des émissions actuellement en vigueur, dite « du réservoir à la roue ». Cette méthode est scientifiquement contestable et disqualifie de facto toutes les énergies autres que l’électricité et l’hydrogène. Elle contredit de plus les règles fixées par la Directive européenne relative aux énergies renouvelables (RED) qui reconnaît les biocarburants durables comme des carburants neutres en carbone.
Limiter le choix des technologies réduit la transition à une vision théorique, éloignée des usages réels. Cela accroît aussi notre dépendance aux matières premières importées, tout en fragilisant nos industries. Beaucoup d’entreprises n’ont pas les moyens de suivre et certains ménages risquent d’être durablement exclus du renouvellement du parc automobile. Persister dans un modèle d’exclusion de certaines alternatives disponibles risque de conduire des acteurs à différer leur sortie des énergies fossiles, et donc à ralentir l’ensemble de la décarbonation.
Un objectif commun : décarboner le transport ; une seule solution : le mix énergétique.
En tant qu’acteurs responsables de la mobilité, nous voulons oeuvrer avec détermination à décarboner les transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France et en Europe.
Nous soutenons le choix de l’électricité comme solution centrale sur le chemin de la décarbonation et nous affirmons que son développement mérite d’être encouragé. Cependant, depuis de nombreuses années, les biocarburants et le biogaz contribuent aussi à réduire les émissions du transport européen, sans modification majeure du parc existant et sans attendre l’arrivée d’infrastructures nouvelles. En complément de l’électricité, les acteurs du transportroutier ont besoin de pouvoir recourir à ces énergies, leviers essentiels pour accélérer la transition.
La seule approche réaliste, crédible et soutenable est celle d’un véritable mix énergétique, fondé sur une évaluation claire et rigoureuse des émissions sur l’ensemble du cycle de vie des carburants et des véhicules. C’est à cette condition que le transport pourra accélérer sa décarbonation, en mobilisant toutes les technologies disponibles : électrique, biogaz et biocarburants, carburants de synthèse et hydrogène. Les opposer est un non-sens écologique, les combiner est un impératif climatique.
L’enjeu de la révision à venir n’est donc pas seulement de décider de l’avenir de la voiture. Il s’agit aussi de déterminer le cadre dans lequel se fera — ou ne se fera pas — la décarbonation du transport lourd, de la logistique, des voyageurs et donc d’une grande partie de notre économie.
Signataires :
Esterifrance : Isabelle WEBER, Présidente d’Esterifrance
FEDA : Alain LANDEC, Président de la Fédération de la Distribution Automobile
FNCCR : Laurent FAVREAU, Administrateur en charge de la mobilité propre à la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies
FNTR : Florence DUPASQUIER, Présidente de la Fédération Nationale des Transports Routiers
FNTV : Jean-Sébastien BARRAULT, Président de la Fédération Nationale des Transports de Voyageurs
FMB : Erwan COTARD, Président de France Mobilité Biogaz
GART : Louis NÈGRE, Président du Groupement des Autorités Responsables de Transport
OTRE : Alexis GIBERGUES, Président de l’Organisation des Transporteurs Routiers EuropéensUfip
EM : Olivier GANTOIS, Président de l’Ufip Énergies et Mobilités
Union TLF : Jean-Thomas SCHMITT, Président de l’Union des Entreprises de Transport et de Logistique de France
Voir la tribune sur le site du media Les Echos parue le 10/12/25
