Grand débat national

Contribution FNCCR territoire d'énergie sur la transition énergétique

Industrialiser la transition énergétique pour faire converger l’efficacité environnementale avec la cohésion territoriale et sociale


La transition énergétique : des risques, des opportunités
Les préoccupations et même l’angoisse exprimées actuellement jusque dans les rues par nos concitoyens confrontés à la hausse de la fiscalité et du coût de l’énergie mettent en exergue le risque, bien réel, qu’une transition énergétique déséquilibrée crée ou aggrave les fractures sociales et territoriales, alors qu’il existe au contraire certaines voies pragmatiques de convergence entre l’efficacité environnementale et la préservation de la cohésion nationale.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que la transition énergétique va s’accompagner d’une plus grande décentralisation de la production d’énergie, et notamment de la production d’électricité, car les sources renouvelables – vent, soleil, géothermie, biomasse – sont davantage réparties sur nos territoires que celles de l’ancien monde énergétique. Celui-ci reposait sur un modèle de forte concentration industrielle incarné par les centrales nucléaires, ou sur des logiques d’importation d’énergies fossiles – pétrole et gaz – qui tenaient les sources d’approvisionnement énergétique éloignées des lieux de consommation, auxquels elles étaient reliées par des réseaux de transport et de distribution unidirectionnels -depuis la centrale ou le point d’injection jusqu’au consommateur.

Le risque du repli sur soi et de la fracture sociale et territoriale
La tendance systémique à la décentralisation inhérente au développement des énergies renouvelables a encouragé certaines aspirations à l’autonomie, voire à l’autarcie énergétique, dont on retrouve des traces dans le thème des « communautés énergétique citoyennes », qui a fait son apparition dans le projet de directive européenne actuellement en discussion dont le texte a été stabilisé en janvier dernier. Si la logique des « circuits courts » est globalement vertueuse d’un point de vue environnemental, le piège serait d’en faire une application indifférenciée et sans nuance, et de faire subséquemment l’impasse sur quelques réalités têtues.

Tout d’abord, même si les sources d’énergie renouvelables sont relativement réparties sur le territoire national, il subsiste d’importants écarts dans les gisements mobilisables, ou dans les contextes locaux : la durée d’ensoleillement est significativement différente entre le nord et le sud de la France, idem pour la géothermie et l’hydroélectricité, et la variabilité des coûts du foncier – sur lequel pourront se déployer les installations de production d’énergie fortement consommatrices d’espace, comme le photovoltaïque ou le grand éolien – s’inscrit elle aussi dans une fourchette très large. Une part importante de l’équation de l’équilibre énergétique repose certes également sur la maîtrise de la demande et notamment sur l’isolation des bâtiments. Mais si cet effort peut, lui, être mis en oeuvre en théorie partout, le point de départ que constitue la qualité énergétique du bâti existant, héritée de l’histoire des territoires, est néanmoins, là encore, variable d’une commune à l’autre… Et l’étendue (en particulier l’importance du coût) du défi à relever dans ce domaine est telle, qu’il est illusoire qu’il le soit avant encore de très nombreuses années.

Industrialiser la transition énergétique à la bonne échelle
Un premier point essentiel à avoir présent à l’esprit est donc que tous les territoires ne partent pas à égalité dans la transition énergétique : postuler que le repli sur soi et l’ilotage énergétique des « communautés de l’énergie » sera la solution, serait un prétexte trop évident à la remise en cause des mécanismes de péréquation et de mutualisation, et reviendrait à inscrire plus que jamais dans la réalité la victoire des égoïsmes locaux, et avec elle une France énergétique à plusieurs vitesses. Il faut au contraire organiser et structurer les coopérations étroites entre territoires et entre collectivités, fondées sur des complémentarités, telles que celle, naturelle, entre une ruralité disposant des ressources en espace requises par des installations de production consommatrices en surfaces, et un monde urbain qui concentre le nombre le plus élevé de consommateurs d’énergie.

Par ailleurs, à côté de ces différences des contextes géographiques et historiques locaux, le coût initial de la transition énergétique sera extrêmement élevé. Même si, à terme, des filières économiques créatrices d’emplois se mettent en place, la phase initiale dans laquelle nous entrons va exiger un niveau ambitieux d’investissement de l’ensemble des acteurs, producteurs et consommateurs d’énergie, professionnels et résidentiels. La crise actuelle et le débat autour de la fiscalité énergétique le démontrent : la majorité des ménages sera incapable de dégager et de soutenir, des années durant, l’effort financier requis sans la mise en place d’une double politique de l’offre (développement des énergies renouvelables, mais aussi des services d’efficacité énergétique) et de la demande (maîtrise de la demande d’énergie, mais aussi croissance de la demande de rénovation des bâtiments), agissant simultanément sur les prix et sur les quantités, et donc sur l’objectif crucial de maîtrise des coûts. Une véritable industrialisation de la transition énergétique reposant sur l’organisation et la facilitation d’effets d’échelle est la seule façon de contenir les coûts dans des limites acceptables, tout en rendant solvable la demande grâce à des mécanismes de mutualisation (par exemple dans le cadre de groupements d’achat) et de redistribution (par une véritable prise en charge de la précarité énergétique). A terme l’industrialisation de l’offre et la massification de la demande pourraient ainsi entrer en synergie pour conduire à une transition énergétique « de masse » accessible à tous.

Des points d’appui pour une telle évolution existent : il convient de les développer et consolider.

En particulier, la filière industrielle française des énergies renouvelables doit investir massivement dans l’innovation tout en améliorant sa compétitivité vis-à-vis de ses concurrents étrangers. La transition énergétique va requérir des technologies actuellement encore loin de leur niveau de maturité : pensons à la méthanation (production de méthane de synthèse utilisant l’électricité issue de sources renouvelables et le CO2 issu de processus de décarbonation), au stockage de l’électricité par batteries (mais leur développement risque de se heurter aux contraintes d’approvisionnement en lithium et autres « terres rares »), mais aussi à la production d’hydrogène verte (par électrolyse à partir d’électricité renouvelable) et aux piles à combustible. Il est essentiel que les entreprises françaises se placent en tête de peloton pour ces enjeux stratégiques.

Mobiliser davantage encore les grandes autorités organisatrices de la distribution d’énergie (notamment les syndicats d’énergie), qui agissent de manière pragmatique sur le terrain
Du côté des politiques publiques locales, il sera crucial d’encourager les logiques de coopération entre collectivités à des échelles suffisantes pour atteindre une réelle efficacité technique, économique, environnementale, tout en consolidant les liens de solidarité. En réalité, nos collectivités n’ont pas attendu cette crise de 2018 pour mettre en place des autorités organisatrices de la distribution d’énergie de grande taille, présentes sur l’ensemble des maillons de la chaîne énergétique. Ainsi, dans plus des deux tiers des départements français, un syndicat intercommunal ou mixte d’énergie regroupe toutes les communes du département desservies par Enedis (qui assure 95 % de la distribution d’électricité en France). Ces syndicats d’énergie (qui ont constitué entre eux le réseau national « territoire d’énergie »), regroupant ainsi les grandes agglomérations et les communes rurales de leurs départements respectifs, non seulement sont les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, de gaz et de chaleur (dans le cadre de laquelle ils développent les « smart grids » ou réseaux intelligents en lien avec les concessionnaires), mais ils investissent également massivement dans toutes les activités énergétiques : production d’énergies renouvelables (dans le cadre de sociétés d’économie mixte) faisant une place importante à l’économie circulaire (organisation du développement de la méthanisation), coordination de groupements d’achat d’électricité ou de gaz ouverts au secteur privé, mise en place des services mutualisés d’efficacité énergétique (qui assurent des audits énergétiques sur le patrimoine des communes membres en faisant réaliser de substantielles économies aux budgets communaux et intercommunaux) et d’éclairage public (les syndicats d’énergie sont les principaux maîtres d’ouvrages de la grande migration de l’éclairage public vers l’efficacité énergétique, grâce au remplacement des sources lumineuses traditionnelles par des LEDs). Les syndicats d’énergie sont par ailleurs, de loin, les principaux acteurs du déploiement en cours des infrastructures de recharge de véhicules décarbonés (électriques, au bioGNV ou, à titre encore expérimental, à hydrogène).

En réalisant, par leur action aussi pragmatique que discrète, une synthèse réussie entre la décentralisation, la proximité de terrain, la mutualisation et les économies d’échelle, ces syndicats d’énergie de grande taille cochent toutes les cases des requis de la transition énergétique. Les régions, chefs de file de la transition énergétique, ne s’y sont d’ailleurs pas trompé en mettant en place des conventions de partenariat avec les pôles régionaux de ces « territoires d’énergie ».

Au moment où les études du GIEC et les débats de la COP 24 nous rappellent l’urgence de la lutte contre le changement climatique, il est possible mais aussi indispensable de mettre en place un puissant moteur de transition énergétique et de cohésion nationale sans céder aux chantres de l’égoïsme et du repli sur soi aux effets délétères : ne laissons pas passer cette chance.

 

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